Le 5ème trismetre, autrement appelé trimestre de reprise de travail, c’est un sujet qui anime Isma à tel point qu’elle en fait son métier. Pour œuvrer à un meilleur accompagnement des parents dans leur double vie pro/perso, elle a fondé Issence, un cabinet d’accompagnement spécialisé sur le sujet de la parentalité en entreprise. Elle revient avec nous sur les grands bouleversements organisationnels, émotionnels, relationnels pour la jeune maman dans cette période, parfois un peu oubliée, de reprise de l’activité professionnelle.
Pouvez-vous vous présenter et me raconter votre parcours ?
Je m’appelle Isma Lassouani, je suis la co-fondatrice – avec Clémence Pagnon – du Cabinet Issence et de l’initiative Parental Challenge. Avant cela, j’ai travaillé sur des projets à impact social en collectivité ou auprès de donateurs privés. J’ai rencontré Clémence quand je me suis lancée à mon compte pour faire du conseil en mécénat. Elle, elle venait de se former au métier de doula. Et on a uni nos univers et sensibilités pour monter Issence, entre parentalité et RSE.
Issence en quelques mots ?
Issence, c’est un cabinet de formation et d’accompagnement en entreprise sur le sujet de parentalité. On accompagne les collaborateurs sur 4 thématiques à travers des ateliers : le retour de congé maternité (qu’on appelle chez nous le 5ème trimestre), le congé second parent, l’équilibre de vie quand on est parent d’enfant en bas âge et l’accompagnement des managers. On donne les outils de façon individuelle pour mieux concilier les casquettes de pro et de parents et on forme les managers à mieux accompagner les futurs et jeunes parents dans leurs équipes. On aide finalement les entreprises à devenir plus “parent friendly” (process RH, congés maternité, guide de la parentalité…)
Et le Parental Challenge ?
On a créé le Parental Challenge avec Judith Aquien et Selma El Mouissi. C’est un mouvement d’entreprise 100% gratuit et ouvert pour faciliter justement cette transformation de l’entreprise. Depuis le début de l’année, 130 entreprises signataires nous ont rejointes et ont ratifié notre charte de 12 mesures pour faciliter la vie des futurs et jeunes parents. C’est un peu le cadre RH clé en main pour se doter d’une politique de parentalité.
Vous évoquiez le 5ème trimestre, c’est quoi exactement ?
Ce qu’on appelle nous le 5ème trimestre, c’est la période du retour de congé maternité.
On s’est rendu compte que c’était un peu le grand oublié du parcours de la maternité et de la carrière des femmes et c’était important de bien le raccrocher aux trois trimestres de grossesse et au 4ème trimestre du post partum. Le parcours de jeune mère il ne s’arrête pas au moment où tu passes la porte du bureau. Derrière, elle doit gérer sa reprise du travail, la question de l’allaitement ou du sevrage, son nouveau rythme, un nouvel équilibre dans le couple… La reprise du travail s’apparente presque à une prise de poste : l’entreprise a changé pendant de nombreux mois, la maman aussi. Ça arrive à un moment où on est encore vulnérable physiquement, émotionnellement par l’accouchement, le post-partum, les nuits hachées, la séparation avec Bébé… Il est vraiment indispensable de prendre conscience de ce que traversent les mères et les accompagner.
Ce n’est pas anodin à ce moment-là mais aussi à l’échelle d’une carrière, où il peut y avoir un décrochage professionnel. Sans accompagnement, elle peut se retrouver à faire des choix de réduction du temps de travail, certains choix de fonctions, de carrière avec cette nécessité de concilier famille et travail.
Quels sont tous les chamboulements qui arrivent pendant ce 5ème trimestre de retour au travail ?
D’un point de vue physique on est encore dans une réalité de post partum. Le congé maternité, c’est un temps qui est censé être de récupération pour la femme mais elle est souvent seule avec son bébé, elle ne dort pas, elle se sent parfois isolée et accumule de la fatigue. . Et c’est difficile alors de trouver l’énergie ou les ressources de temps pour s’occuper de soi, pour prendre du recul…
D’un point de vue relationnel, c’est un bouleversement dans le couple et pour le 1er enfant, c’est la naissance du couple parental. Le rythme change et nécessite d’être adaptable. On met du temps à trouver l’équilibre. On parle souvent du terme de « baby clash » alors je ne sais pas s’il est extrêmement bien trouvé mais il existe parce que c’est aussi une réalité et le couple peut être un peu challengé. Et du côté du Bébé, ça prend du temps de se sentir en confiance avec lui, il faut gérer la première séparation, le mode de garde et la logistique qui va avec, et qu’on soit content de reprendre le travail ou non, ça reste un grand moment, qui n’est pas du tout anodin psychologiquement.
D’un point de vue organisationnel, il faut gérer ses nouvelles contraintes de temps, mettre en place des routines… On rentre dans une folle course contre la montre toute la journée en se disant on passe d’une responsabilité à l’autre sans avoir du temps pour soi. Si on n’est pas accompagné on peut perdre pied et puis s’inquiéter avant de trouver ses marques.
D’un point de vue professionnel, il y a une asymétrie entre l’entreprise et la mère. Pour la mère, c’est un énorme changement : on retrouve un collectif, on retrouve des horaires, on retrouve des objectifs différents avec une to-do list et une posture professionnelle à retrouver. Pour l’entreprise, c’est un simple retour à la normale. C’est cette asymétrie-là qui est le creuset d’incompréhensions et de malentendus.
Comment les entreprises peuvent-elles accompagner le retour au travail de leurs collaboratrices ?
La base de la base, c’est la loi. 80% des femmes reprennent le travail sans bénéficier de leurs droits, comme la visite médicale et l’entretien obligatoire de reprise avec son manager.
On peut aller au-delà de la loi. Aujourd’hui, elle prévoit un arrêt postnatal de 10 semaines, jugé trop court par 70% des femmes qu’on a interrogées (Grande Enquête sur le retour de congé maternité, Issence x Yes we share). Il y a des entreprises qui peuvent aller plus loin en prolongeant le congé maternité dans les conventions collectives par exemple. Si ce n’est pas possible au moins prendre acte de ce besoin de transition au moment de de la reprise et donc aménager les choses pour une reprise progressive : aménager les horaires pendant les X premières semaines, considérer que la première semaine ou les 2 premières semaines c’est vraiment du re-onboarding et donc s’inspirer process d’onboarding qu’on a souvent et qui peuvent être efficaces en tant qu’entreprise… Il faut voir le retour au travail comme une prise de poste. Il doit y avoir un temps d’accueil officiel avec son employeur pour faire le point sur son poste, sur l’environnement de travail, sur les outils, sur ses envies, sur ses nouvelles contraintes… Et tout ça, ça permet une reprise plus sereine et chaleureuse.
Et gérer le retour de la jeune maman dans l’équipe ?
Quand une femme revient de son congé maternité, elle reprend son poste (et d’ailleurs parfois ce n’est pas le même) et l’équipe a avancé sans elle pendant 4 mois. Avec la crise de la Covid, on a un monde du travail qui est métamorphosé avec notamment la généralisation du télétravail et un collectif qui est différent d’il y a quelques années.
Reprendre sa place quand on a été absent quelques mois dans un moment où l’entreprise et la vie collective se transforme, ce n’est pas évident et l’employeur à un rôle à jouer. Mettre en place un process d’information, d’accueil c’est aussi une façon de de favoriser un retour à un collectif harmonieux : informer et sensibiliser tout le monde sur ce qu’implique le retour du congé maternité, ça évite peut-être des jugements et des attentes, ça fluidifie le travail ensemble. Il y a une énorme culpabilité et pression, même si elles n’ont pas de remarques formelles. L’employeur peut organiser des temps de convivialité pour marquer le retour dans l’équipe car le « retour fantôme » c’est une réalité. Beaucoup de femmes nous ont confié qu’elles revenaient de congé mat’ et qu’il ne s’est rien passé, et ça met à mal la confiance, l’enthousiasme du retour au collectif. Intégrer au process un moment de convivialité permet de marquer le retour de notre collègue.
Et du point de vue de la jeune maman ?
Pour la jeune mère, le retour peut être intimidant car on a été seule dans notre cocon. Parler de soi, ce n’est pas forcément simple. On conseille de se protéger : on prévoit la petite photo qui va bien, la petite histoire pour répondre au fameux “alors ça se passe bien ?”, comme ça on n’a pas besoin de réfléchir ou de se sentir vulnérable à chaque fois qu’on nous pose des questions. On peut aussi se planifier dès le début des temps de convivialité avec les collègues avec qui on se sent à l’aise : déjeuner, café pour avoir un sas un peu plus chaleureux qui permette de se sentir accueilli et d’avoir les informations qu’on a pu louper.
D’un point de vue plus professionnel, la jeune maman peut prendre le taureau par les cornes et avoir des réflexes de reprise : faire un point sur l’équipe, se présenter s’il y a eu des arrivées, notifier avec un petit message pour prévenir de son retour… avec le même but de recréer du lien, d’informer et d’éviter le syndrome la petite souris qui va se faire discrète et réessayer de reprendre le travail en étant la plus productive possible même en partant plus tôt. L’idée c’est de l’assumer pleinement.
Si tu devais donner un conseil à une maman qui s’apprête à reprendre le travail ?
Ne pas chercher à tout faire seule. Aussi forte et enthousiaste qu’elle soit, c’est un moment qui reste bouleversant, challengeant d’un point de vue organisation, d’un point de vue émotionnel… Il faut se faciliter les choses au maximum et aller à l’essentiel. Ce n’est pas grave si, pendant quelques semaines, il y a des choses qu’on ne fait pas et c’est OK. Souvent, elles ont l’impression que dès qu’on passe la porte du bureau, c’est la nouvelle vie de jeune mère active avec un enfant et que ça va être comme ça tout le temps, sauf que non. Il faut prendre conscience que c’est un temps de transition, et l’accepter comme tel.
Un dernier sujet dont tu voudrais parler ? Des nouveaux projets ?
On a lancé en collaboration avec Gaëlle Bassuel, de la start-up Yes We Share, un programme qui s’appelle Melly Demelo, dédié au retour du congé maternité et destiné aux entreprises. C’est un chatbot qui accompagne la mère quelques semaines avant sa reprise et quelques mois, comme si elle discutait avec un mélange de coach/copines/RH/juristes qui va lui donner étape par étape toutes les informations dont elle a besoin pour reprendre sereinement : gérer la reprise du travail, la gestion des émotions, comment communiquer, trouver un nouveau rythme…
On pense fort à vous les Mamas bientôt de retour dans leur job <3
Crédit image : melidemelo.com