Ce mois-ci, pas de témoignage d’une super-maman à la tête d’une géniale marque pour enfant, ou star des réseaux sociaux. Vous ne me connaissez pas, mais je suis celle qui recueille et écrit les témoignages des mamans sur le mag de Popote depuis sa création en 2017, avant cela, j’officiais au magazine MilK le magazine des parents contemporains. Bref, depuis six ans, je donne la parole à des femmes, des parents, de jeunes mamans, des moins jeunes, j’entends des histoires d’allaitement facile, moins faciles, des violences gynécologiques, je pensais avoir fait le tour en ce qui concerne la parentalité.
Ce que j’ai moins entendu ce sont les histoires de mamans qui souffraient de cette fameuse dépression post-partum. Pour moi, la seule qui en a parlé c’était Gwyneth Paltrow, et dieu sait qu’elle dit des choses qu’on a pas forcément envie d’entendre . Bref, cette fameuse dépression post-partum m’est tombée dessus en cette belle année 2020 (année de la win nan ? Nan.) L’occasion de témoigner, et de lever un tabou.
C’est en faisant mes cherches de sujets pour Popote que je suis tombée sur le compte Post Partum Ta Mère et je m’y suis abonnée, avant de finalement donner la parole à Madeleine qui parle des tabous du post-partum : sexualité, hormones, corps, sommeil, lien avec l’enfant… Un jour, elle a relayé le témoignage d’une maman – supprimé depuis – qui parlait de sa dépression. Elle a mis des mots sur mon mal-être depuis la naissance de ma fille. Au commencement, j’ai eu une grossesse « facile », pas une partie de plaisir non plus, surtout pour quelqu’un qui aime bien boire un verre de pif mais passons.
Ensuite, j’ai également eu un accouchement « de rêve », c’est-à-dire express, « du jamais vu pour un premier enfant » m’a dit la sage-femme. Puis s’en sont suivis les fameux jours (semaines ?) de baby-blues. Sauf que, deux mois plus tard, je me lassais encore devant ma fille qui ne faisait pas grand-chose dans son couffin. Je rêvais qu’elle grandisse à toute vitesse, qu’elle ne dépende plus de moi, quand tout et tout le monde me disais de « profiter » je ne me sentais pas dans le plaisir. J’étais submergée par des crises de larmes incontrôlables. Et je ne pouvais pas me plaindre, comment le pourrais-je ? J’ai toujours voulu avoir un enfant, d’aussi loin que je me souvienne
Jusqu’à l’adolescence, j’ai demandé des poupées Corolle que j’habillais avec des vrais vêtements pour bébés prématurés, je les élevais comme des vrais enfants. Petite, je me disais que rien ne pourrait m’arriver car je n’étais pas devenue encore maman, que le monstre sous le lit ne pouvait rien contre moi. Faire un enfant c’était « en moi ». Pourtant, ce puissant désir de maternité a rapidement été parasité par l’angoisse d’être stérile.
Depuis mes 20 ans, je souffre d’endométriose. Cette maladie, encore taboue elle aussi, a très souvent un impact négatif sur la fertilité des femmes. Ma mère, elle-même touchée par la maladie a mis des années et plusieurs Fécondation In Vitro avant d’avoir mes frères et sœurs. D’ailleurs, quand je lui ai annoncé ma grossesse, elle m’a dit « Moi à ton âge, je n’y arrivais plus. Ce bébé c’est un miracle. » Alors, comment oser dire qu’on est malheureuse quand, contre toute attente, on vit son plus grand rêve, celui que des médecins avaient même enterré ? C’est inaudible. Je « devais » faire bonne figure.
J’ai décidé, par choix, de ne pas allaiter. Ma fille a fait ses nuits au bout de 15 jours. Alors oui, je devais gérer de front, et dès le lendemain de mon accouchement mon travail de freelance et m’occuper d’un bébé qui demandait 18 heures par jour de mon temps. Et ce qui me manquait justement, c’était du temps. Du temps pour moi. Boire un café, voir des amis. J’avais envie de retrouver « ma vie d’avant », j’ai pensé qu’en accouchant, j’allais pouvoir retrouver qui j’étais avant d’être enceinte. Naïve. Au début, pendant des semaines, je ne décrochais plus le téléphone, je n’avais envie de voir personne. De toute façon, grèves aidant, personne ne pouvait se déplacer. Tous les amis qui voulaient venir voir la petite se retrouvaient bloqués, sans transport en commun. Nous avons été isolés malgré nous dès l’accouchement. J’ai probablement perdu quelques amis car je n’avais pas la force d’écrire aux gens, pas la force de répondre, d’envoyer des photos.
Puis, la pandémie de Covid-19 est arrivée, et je me suis retrouvée chez mes beaux-parents à 800km de Paris. A ce stade, ma fille avait 3 mois et j’étais l’ombre de moi-même. J’avais de plus en plus de mal à me lever du lit. Je posais ma chemise de nuit dans le placard chaque matin et je me disais « vivement ce soir, une journée de plus de passée. » Je rêvais qu’on me prenne ma fille pour quelques jours. Je rêvais qu’elle ne dépende plus que de moi. En cela, le confinement pour moi a été une parenthèse de bonheur. Ma belle-mère m’a prêté main forte, juste quelques heures par jour, j’ai pu travailler, j’ai pu faire du sport, et mon compagnon était à la maison. J’ai retrouvé en un sens, un certain goût à la vie.
Mais toute bonne chose a une fin, et au bout de deux mois, chacun a repris sa vie. Ma belle-mère a retrouvé son quotidien bien chargé, mon compagnon ses journées remplies au bureau. Et je me suis retrouvée encore, seule, avec mon enfant à gérer, mon travail (ce qu’il en restait post-Covid) et en plus de cela, dans la maison de mes beaux-parents, seule, loin de ma famille et de mes amis, coincée dans une maison où, sans permis, je ne peux même pas aller voir la mer. J’ai dépéri. Nous sommes rentrés à Paris après 4 mois dans le Sud. Et le soir de notre retour, j’ai envoyé un mail express à mon psychiatre – qui me suis depuis que j’ai 17 ans – en disant que j’étais en train de perdre totalement pieds. La dernière fois que je l’avais vu, en août 2019, alors très enceinte, il m’avait mis en garde contre cette fameuse dépression post-partum. Cette maladie touche d’autant plus ceux qui ont un terrain dépressif. Ayant fait quelques épisodes entre mon adolescence et ma vie d’adulte, j’étais donc une bonne candidate.
C’est marrant parce que je n’y ai plus jamais repensé. Et jusqu’à ce que j’arrive dans son cabinet fin juin 2020, ou j’ai littéralement pleuré pendant plus d’une heure, je ne pensais pas du tout être diagnostiquée comme en dépression post-partum. Parce qu’on se l’interdit, parce que ma belle-mère m’a répété que c’était « normal » de pleurer, que ce soit dur, que c’était normal d’avoir les hormones qui fluctuent. Non, ce n’est pas normal. Il n’y a pas de normalité dans la maternité, en revanche j’ai bien vu que je ne vivais pas le même « bonheur » que mes amies. Pourtant j’ai voulu y croire. Parce que je m’y connais en bébé, je pensais tout savoir. La vérité c’est qu’on ne sait rien, et que les autres ne savent pas mieux que vous, que vous ayez eu 1, 3 ou 8 enfants.
Le post-partum même s’il n’est pas suivi d’un épisode dépressif à proprement parler, est une période affreusement taboue. En témoigne le scandale autour de cette publicité diffusée par la marque Frida Mom aux moments des Oscars aux Etats-Unis en janvier 2020 . Pourtant, elle ne montre rien de plus qu’une femme qui vient d’accoucher. Elle se rend avec difficultés aux toilettes, change sa protection hygiénique et semble s’asperger avec de l’eau pour uriner, comme après une déchirure ou une épisiotomie.
Trop crue cette publicité, vraiment ? On n’y voit pourtant aucune goutte de sang, rien qu’une femme avec le ventre gonflé et qui évoque les nombreuses pertes et douleurs post-accouchement. En quoi serait-ce plus tabou qu’une publicité pour les règles ou les fuites urinaires ? Ah oui peut-être parce que c’est déjà tabou aussi ! Bref, le post-partum est une période bien souvent invisibilisée, d’ailleurs votre sage-femme ou les cours de préparation à l’accouchement n’en parlent quasiment jamais.
Cette période si sensible est pourtant le moment où l’on a probablement le plus besoin de se sentir soutenue : perte de sang, ventre gonflé et vide, chute hormonale violente, fatigue, montée de lait, douleurs, crampes… Ce « quatrième trimestre » dont on commence à parler timidement est une période de grande vulnérabilité.
Sans compter celles qui subissent des violences obstétricales pendant l’accouchement (dont Ovidie a fait un magnifique documentaire : http://www.film-documentaire.fr/4DACTION/w_fiche_film/56888_1), sans compter tout ce qu’il faut apprendre ou réapprendre : donner le sein (non, ce n’est pas inné !), changer des couches, donner le bain… Les chiffres des associations donnent le tournis concernant le syndrome de stress post-traumatique, mais aussi la dépression post-partum. Le suicide serait la première cause de mortalité des femmes durant cette période.
La femme est simplement laissée à elle-même, murée dans une solitude. La faute au congé paternité (trop court), la faute aux parents qui travaillent souvent encore, la faute à une société occidentale qui n’est absolument pas tournée vers les jeunes mamans. En Chine, des services sont spécialisés dans l’aide à domicile post-accouchement. En France, les aides proposées sont hors de prix.
Et puis, que dire sur la charge mentale ? Il faut recevoir du monde, tenir la maison, faire à manger, rester belle, perdre (vite) le poids pris pendant la grossesse et surtout se taire. Un jour peut-être, l’État se lancera dans des campagnes de sensibilisation, allongera le congé paternité… Un jour il sera plus facile de trouver une place en crèche, plus simple de voyager avec un enfant, ou même de prendre le métro avec une poussette.
Aujourd’hui mon constat c’est qu’il est bien difficile de faire un enfant en France en 2020. Pour ma part, les médicaments prescrits par mon psychiatre et son suivi m’ont aidé à sortir la tête de l’eau. La crèche qui se profile également. Je n’ai pas eu une journée sans mon enfant depuis novembre 2019 et il me tarde d’avoir, enfin, du temps pour moi. Et cela ne me fait plus culpabiliser. La difficulté d’être mère est réelle, et nous sommes, je pense, bien nombreuses à souffrir de ce mal-être, probablement encore plus avec la crise du Covid-19. Heureusement que la parole se délie, que les tabous sont uns à uns levés. Avec l’espoir de voir la parentalité s’améliorer !-
-Chloé