Renée Greusard évoque les questions de la parentalité et de la sexualité au quotidien. Qui de mieux pour nous parler de sa maternité, de ses grossesses (bien différentes) et du lien étroit entre l’arrivée d’un enfant et l’impact sur le couple? Rencontre!
Peux-tu te présenter en quelques mots? Quel est ton parcours, d’où tu viens…
Je suis née à Dakar puis j’ai grandi à Paris. Après des études de Lettres et de cinéma, j’ai passé les concours pour les écoles de journalisme. Ça s’est fait en deux temps, d’abord une année horrible où je les ai tous ratés (c’était horrible) puis la deuxième année j’ai réussi et intégré l’ESJ Lille. Après quelques expériences en PQR, à l’Humanité Dimanche, j’ai eu un CDD à Rue89 et c’était une révélation, j’ai vraiment eu la sensation d’être au bon endroit. Dans cette continuité, aujourd’hui je travaille au Nouvel Obs, en charge des questions sociétales d’intimité, de parentalité et de sexualité.
Parlons de ton quotidien de maman, combien as-tu d’enfants, comment s’appellent-ils ou elles?
J’ai deux enfants, Ulysse 9 ans et Orso bientôt 2 ans. Je précise que j’ai été diagnostiquée pour un TDAH (trouble de l’attention et de l’hyperactivité) et que cette condition n’est pas sans conséquence : je n’aurais jamais pu enchaîner deux enfants en bas âges, c’est beaucoup trop pour moi ! J’apprécie ce gap entre eux.
Parle nous de tes grossesses, comment se sont elles passées?
Pour ma première grossesse, ayant un attrait particulier pour la nouveauté, j’ai plutôt apprécié ce moment. Bien sûr, j’avais quelques désagréments mais j’étais en forme, jeune, je courais beaucoup à l’époque donc à part quelques nausées je n’ai rien eu de dramatique. Pour la deuxième, j’avais 37-38 ans et même si mon premier fils était en garde alternée, j’étais très fatiguée. J’avais arrêté le sport et je sentais que mon corps était vraiment différent. Pourtant, j’ai un rapport assez doux avec moi-même mais j’ai senti que cette grossesse me pesait plus, mes hanches s’élargissaient, mes os ont bougé… A la fin, c’était horrible, je n’en pouvais plus! Je me traînais littéralement, je ne pouvais quasi plus marcher, j’avais mal au dos, partout.
As-tu fait une préparation à l’accouchement?
J’ai fait deux préparations complètement différentes. La première fois on a fait quelques ateliers et pratiqué l’haptonomie à la maternité. Pour la deuxième grossesse, j’avais choisi une maison de naissance et c’était incroyable. Tout le monde devrait avoir accès à un tel suivi si désiré. Tu évoques tous les sujets qui te travaillent, tu as des rendez-vous réguliers de 1h-1H30 avec des sage-femmes… Je suis très reconnaissante envers toutes celles qui nous ont suivi, c’était magique.
Comment se sont passés tes accouchements? Est-ce vraiment le plus beau jour de ta vie?
Pour Ulysse, ce qui était compliqué c’est que mon compagnon de l’époque était bloqué au travail donc j’ai géré seule pendant plusieurs (longues) heures. Au début j’étais bien, j’étais même descendue en salle d’accouchement avec mon ordi pour écrire mon livre et j’envoyais des selfies à mes amies. Puis au fil des heures, quand il m’a dit qu’il ne savait pas quand il pourrait arriver, j’ai craqué et demandé la péridurale. Mon col était ouvert à 6. A partir de là, j’avais l’impression d’être complètement shootée et j’avais faim, si faim! Or, évidemment, les soignants ne voulaient pas que je mange. Pour dire à quel point j’étais dans un état second, je suppliais mon compagnon d’aller me chercher des Snickers « discrètement » alors que j’étais entourée de sages-femmes autour de moi! Je garde un très bon souvenir de ce premier accouchement, très doux. Quand mon fils est sorti, la sage-femme a dit (je m’en rappellerai toute ma vie) « Alors Ulysse, tu as fait un beau voyage ? » et j’en pleure encore d’émotions.
Pour Orso, j’ai eu envie d’une approche plus physiologique. J’étais documentée donc j’ai choisi une Maison de Naissance pour essayer d’accoucher sans péridurale. Ce qui s’est passé c’est que j’ai demandé la péridurale à 8 parce que je n’ai jamais réussi à trouver de position confortable dans la douleur. La seule chose qui marchait c’était quand mon compagnon m’hypnotisait, je fermais les yeux, j’arrivais à m’échapper un peu. Mais le reste, le bain, les cordes etc, rien ne marchait. Impossible de rentrer dans ma « bulle ». Je pense que c’est en lien avec le TDAH parce qu’entrer dans une bulle, c’est une forme de concentration et quand on a du mal à se concentrer… C’est compliqué ! J’ai donc été transférée quand j’étais dilatée à 8 et j’ai eu la péridurale sauf que l’anesthésiste m’a expliqué qu’à ce stade de l’accouchement tu cours après la douleur qui s’est installée et que c’est difficile à rattraper. J’ai donc eu une double dose car la première ne fonctionnait pas. Et pendant qu’il me posait la deuxième dose, j’ai eu quelque chose de très étrange : je voyais comme des carrés gris de jeux vidéo qui tombaient les uns sur les autres dans ma tête. Ça ne m’a pas énormément surprise parce que j’avais déjà lu quelque chose sur ça en me renseignant sur les accouchements sans péri. Bref, j’ai eu une phase de désespérance. Normalement les femmes racontent qu’elles ont l’impression qu’elles vont mourir mais moi j’ai carrément demandé à mourir à ce moment-là. Je sais que des femmes vivent très bien ce moment, certaines ont même des orgasmes, mais pour moi c’était l’enfer et la mort me semblait une meilleure option que ce que je vivais à ce moment-là. Quand mon fils est né et que tout est retombé d’un coup, j’ai eu l’impression de sortir d’un parc d’attraction. C’était tout sauf doux, pourtant ma préparation avait été magique. Comme quoi…i
As-tu allaité?
Je les ai tous les deux allaités oui, malgré un rapport très ambivalent avec l’allaitement. J’aime et je déteste à la fois! J’ai adoré ce baiser étrange et détesté la douleur car j’ai eu mal à chaque fois. J’avais l’impression d’être une prise murale et qu’on se branchait à moi. J’ai fait 4 mois d’allaitement pour Orso en passant au mixte à 1 mois et demi et pour Ulysse j’avais fait 7 mois et mixte à partir de ses 3 mois.
Comment se sont passés tes post-partum?
Pour Ulysse c’était super difficile. Je n’avais absolument rien compris, j’étais dans le fantasme pur de la maman, j’imaginais que j’allais faire des gâteaux et jouer aux Lego. A l’époque on parlait peu de ce sujet et j’ai vu la différence avec mon 2e enfant car j’étais, pour le coup, inondée d’infos. Mais, la première fois je ne pensais qu’à l’accouchement et j’ai vécu très fort le choc de l’ “après”: une perte de liberté, une disponibilité permanente pour ton enfant. Je n’avais pas encore travaillé mes névroses (notamment ma grande peur de la solitude) et mon compagnon de l’époque non plus, on était très jeunes. Donc quand je me suis retrouvée en “congé mat” avec mon bébé qui en plus avait un RGO (reflux gastrique oesophagien) et un immense sentiment de solitude mais aussi d’abandon… Je pleurais tout le temps.
Bien des années plus tard, une psy m’a dit que j’avais fait une Dépression Post Partum non diagnostiquée. Mon mec, à l’époque, ne comprenait pas, je me sentais si seule à la maison en mode pilote automatique, j’avais à peine le temps de me faire cuire un œuf. Un jour il m’a demandé de cuisiner un plat pour un dîner et j’ai été frappée par le fossé qui s’était creusé entre nous. Quand j’ai recommencé à sortir après mon congé mat, j’ai tout fait à l’excès. J’avais tellement ressenti une privation de liberté, eu l’impression d’être dans une sorte de prison que je suis énormément sortie, j’ai voulu retrouver la personne que j’étais avant mais qui bien sur n’existait plus. Et tout ça n’était pas pour moi lié à mon fils, je le trouvais merveilleux, j’étais émerveillée par lui, c’est plutôt le manque d’organisation sociétale autour des enfants que je sentais alors déjà problématique. Tout cela était très éprouvant et avec son père, on a d’ailleurs fini par se séparer.
Post-partum (la suite)
J’avais changé, je pense et lui comme moi étions plus âgés. On avait aussi travaillé sur nous, j’avais analysé ce post partum grâce à la thérapie et au livre que j’avais écrit. D’ailleurs, il y a une citation tirée d’un Ted Talk qui m’avait marqué qui dit que vivre un post partum sans avoir été informée, c’est comme aller faire un trek au Népal en escarpins. Bref, ne pas être préparée. Pour Orso, j’avais les bonnes chaussures. Avec son père, on a beaucoup parlé en amont, pris toutes les dispositions nécessaires. On voyait chacun une psy et c’était beaucoup plus doux car on était tous les deux très vigilants. Clément me disait que j’étais comme une grande brûlée de la maternité. Il me surveillait donc comme le lait sur le feu. La seule fois où il m’a vue pleurer, au bout du rouleau, il a appelé son boulot, s’est mis en TT direct et m’a dit d’aller me coucher. Puis, il a tout géré. Je ne dis pas que c’était facile, mais c’était différent. J’étais apaisée avec mes démons, avec mes questions sur la solitude. Cette fois, j’ai accepté que j’allais moins voir mes amis pendant un temps, que j’allais récupérer, être connectée à mes besoins primaires de sommeil, de repos, de bien m’alimenter. J’ai été suivie par une diététicienne non pas pour perdre du poids mais pour mieux me sentir le mieux possible dans mon corps dans cette période de transition.
Qu’est-ce qui a le plus chamboulé ton couple après l’arrivée de Bébé?
La fatigue génère chez nous des tensions. On a eu des moments moins faciles que d’autres. Ce qui est bizarre pour le couple, c’est qu’on a la sensation d’être tout le temps fourrés ensemble et en même temps très loin l’un de l’autre. Mais cette fois-ci on savait que c’était normal et on se le disait même beaucoup : « Tu me manques ». Pour Noël, on s’est offert des séances de psy de couple. Non pas que notre couple va mal mais c’est un cadeau que l’on s’est fait pour parler de nous, de soucis et nous accorder de l’espace. Ca nous aide beaucoup. On a aussi des parenthèses en amoureux, soit à faire la fête soit plus calmes. Et aussi des moments seuls chacun de notre côté. Clément court, moi je vais à la piscine. Et on est très à l’écoute l’un de l’autre.
Quel conseil donnerais-tu à un couple qui devient parent pour la première fois?
J’aime pas trop donner des conseils. Qui suis-je pour conseiller des gens que je ne connais pas ? Tout le monde est différent, on n’a pas tous les mêmes besoins, en plus. Je peux en revanche parler de ce que je m’applique à moi. Je travaille à être à l’écoute de moi-même le plus possible, à être alignée. Pour cela faire un travail sur moi-même, aller me déposer chez ma psy, prendre du recul sur ce que j’expérimente, fait partie de mon hygiène de vie. Je suis aussi très vigilante sur mes besoins de sommeil. J’annule des trucs si je sens que je suis fatiguée, je pose des jours si possible et j’accepte de demander de l’aide.
Enfin, j’ai une règle sur laquelle je ne transige pas : j’évite le plus possible de me comparer, ou de me mettre dans des situations qui vont abîmer ma confiance en moi. Par exemple, j ’ai une règle assez simple : je ne suis aucun compte Instagram qui me met mal à l’aise. Si quelqu’un me fait culpabiliser ou me sentir comme une petite chaussette sale, je mute ou j’unfollow. « On est pas venu ici pour souffrir » comme dirait l’autre! La parentalité, c’est une équation subtile, on est tous différents, les enfants aussi et même nous, d’une journée à l’autre, on varie ! Se comparer est un non sens.