Si vous vous dites que la parole s’est libérée, que l’on parle – enfin ! – de la réalité d’une grossesse (pas forcément épanouissante), d’un accouchement (pas forcément le plus beau jour de votre vie), de l’allaitement (pas forcément inné) mais aussi des violences gynécologiques, de faire un enfant seule, un enfant avec une autre femme, un enfant parce que vous avez un cancer, c’est probablement grâce à Clémentine Galey de Bliss Stories.
Que vous ayez décidé de pratiquer une IVG, que vous ayez perdu un enfant, que vous ayez des problèmes de stérilité, il y a forcément un épisode de Bliss qui fera écho en vous. Le problème même, c’est qu’on ne peut pas s’arrêter d’écouter ces histoires parfois drôles, parfois bouleversantes à en pleurer, qui parlent de ces femmes qui sont tout autour de nous.
On était un peu timide à l’idée d’interviewer LA femme derrière ce podcast aux 3,5 millions d’écoutes et pourtant Clémentine Galey de Bliss Stories nous a tout de suite mis à l’aise. Et à la fin, c’est nous qui étions en train de nous confier. Elle a vraiment un don pour faire parler les gens. Probablement grâce à sa grande douceur, sa curiosité, son énergie… Bref, c’est une femme très spéciale que nous sommes heureuses de vous faire découvrir ce mois-ci. Rencontre.
Peux-tu nous dire qui tu es, d’où tu viens, où tu as grandi…
« Je suis une parisienne pure souche et ce, depuis des générations et des générations ! Ma famille travaille dans l’audiovisuel, mon père est réalisateur et ma mère a présenté « Des Chiffres et des Lettres » (true story). Du coup, je me suis inscrite dans une école de cinéma #rebelle. J’ai été assistante réal. sur des tournages pour le cinéma mais aussi des téléfilms etc. J’ai adooooré cette période. Certes, c’est épuisant, ces horaires à rallonge (des horaires ? quels horaires ?) et se geler les fesses au milieu de nulle part, mais l’agitation, l’excitation sur un plateau c’est grisant ! J’ai rencontré mon mec sur l’un des derniers tournages que j’ai fait. Le film s’appelait « On va s’aimer » ça ne s’invente pas 🙂
Puis, j’ai quitté ce milieu, parce qu’un jour, je me suis dit que si je voulais fonder une famille, il me fallait un peu de stabilité. Je me suis tournée vers la prod télé. Après une expérience d’un an à New York, pour travailler et voir du pays comme on dit, et en rentrant en France, après quelques années à bosser en prod tv, on m’a proposé de faire du casting Je suis devenue directrice de casting en 2009 sur la toute 1ere saison de Top Chef, c’était fou. J’ai adoré ce job parce que ça t’emmène dans des univers totalement différents. Tu passes des cuisines étoilées de Top Chef, au Bachelor et Ninja Warrior… C’était vraiment de bons moments. »
Alors, comment t’es venue l’idée de fonder le podcast Bliss Stories ?
« Il se trouve qu’en parallèle de mon job, j’ai senti monter quelque chose en moi d’assez indescriptible. Je me suis dit qu’un jour, je pourrais faire quelque chose toute seule, pour m’accomplir. Quelque chose de réfléchi, sans stress, pour peut-être tester mes capacités à mener un projet. En fait, je suis partie du principe que j’adorais travailler, que je mettais beaucoup d’énergie dans mon travail, mais que je pouvais peut-être mettre cette énergie ailleurs, pour moi. Et peut-être aussi pour donner plus de sens à ma vie professionnelle et essayer de me rendre utile. A l’époque, je travaillais chez TF1, j’avais des horaires de malade, quand je rentrais je m’occupais de mes enfants. Je m’occupais de Bliss Stories le soir tard, les week-ends…C’étaient les débuts, je sortais 2 épisodes par mois mais c’était déjà un sacré boulot.
Et je me rappelle aussi qu’une de mes sœurs, avec qui j’ai 10 ans d’écart, quand elle a été enceinte, m’a dit : « Heureusement que tu me racontes tout ça – sur la grossesse – sinon personne ne me l’aurait dit ! » Et ça aussi, ça a été une sorte de déclic. »
Et pourquoi un podcast d’ailleurs, plutôt qu’une chaîne Youtube ou un compte Instagram ?
« J’ai choisi le podcast parce que je n’aime pas du tout me montrer déjà (haha !). A l’époque, j’écoutais pas mal de podcasts sur l’entreprenariat comme La Poudre et Génération XX. Mais aussi des fictions, des podcasts sur des faits-divers, des podcasts américains et australiens… Notamment un sur la maternité, mené par une sage-femme absolument géniale. J’ai fait le constat de la puissance de la voix, ça t’embarque, ça te fait écouter activement, ça te met dans une bulle… Il y a à la fois des émotions et des informations. Et quel plaisir d’écouter un podcast dans des moments chiants. Un embouteillage, le ménage, hop tout passe plus vite ! »
Comment se sont passés les débuts de Bliss Stories ?
« Je me suis lancée dans cette aventure avec mes armes, ce que je savais faire de mieux : écouter les gens, les conseiller… J’aime les histoires des autres et ils me le rendent bien. C’est quelque chose de naturel, les gens se confient à moi. Je mettais déjà ces compétences à profit dans mon métier de directrice de casting. Avec Bliss Stories, j’ai exploré quelque chose que j’adorais depuis longtemps : la maternité. Avec pour envie de mettre en valeur une certaine idée, la transmission.
J’ai acheté mon petit matériel, je connaissais déjà les rudiments des logiciels de montage. Je m’installais dans mon salon (je le suis toujours d’ailleurs !). Forcément, comme tout le monde au début, j’ai détesté ma voix. Quant au choix des premières mamans, je savais déjà « repérer » les bons témoins, car c’était mon métier. La toute première invitée de Bliss, c’est Agnès, la marraine de mon fils. Et la deuxième, ma petite cousine, qui a fait un bébé toute seule. Il y a eu une sorte d’évidence dès le début. Ça s’est tout de suite super bien passé et j’ai eu un appétit énorme pour donner la parole à un maximum de femmes. »
Comment fais- tu pour « caster » les mamans ?
« Je choisis des femmes qui savent bien raconter déjà. Ensuite, j’ai identifié des mamans sur Instagram et j’ai eu envie de les sortir de cette bulle parfaite, avec les filtres etc. A l’époque, ça a été un gros pavé dans la mare, elles se sont montrées sous un autre jour, beaucoup plus ancrées dans la réalité. Aujourd’hui on se montre un peu tel que l’on est sur Instagram mais avant c’était vraiment les galeries de photos où rien ne dépasse. Depuis, on « ose » un peu plus dévoiler la réalité, ses émotions, son corps…
Bref j’ai découvert sur Instagram une vraie “mumosphère” comme je l’appelle, c’est-à-dire une communauté de mères influentes. Elles étaient solidaires, engagées, elles s’apportaient mutuellement beaucoup de soutien. Et j’ai eu beaucoup de chance, car en les contactant spontanément elles ont adhéré au projet de Bliss. C’était des petits comme des gros comptes mais ça a vite fait boule de neige. Elles sont devenues des ambassadrices et le succès c’est aussi grâce à elles. Aujourd’hui, c’est mon job à plein temps. Je travaille avec des freelances qui m’aident au quotidien. »
Pourquoi donner la parole uniquement à des mères ?
« Parce que ce sont elles qui portent leurs enfants et expérimentent l’accouchement. C’est aussi simple que ça. Ce sont elles qui ressentent ces sensations, qui vivent le truc à fond, l’urgence pour moi c’est de donner la parole à ces femmes-là. »
Quel épisode t’a le plus émue ?
« C’est super difficile de répondre à cette question. Je n’en ai pas un que j’aime plus que les autres. En revanche, je peux dire que les premiers épisodes, ça a été un émerveillement de chaque instant. Les épisodes autour du deuil périnatal ont été des grosses claques. Il y a d’abord eu l’histoire de Nicki (épisode 17), puis l’épisode de Pauline (épisode 39) qui a clairement marqué un tournant dans le partage de la face sombre de la maternité. Recueillir cette douleur, cette rage, cette intimité, c’était au-delà de tout ce que j’imaginais.
J’étais fière de pouvoir mettre ces histoires en lumière. Globalement dans les épisodes on pleure pas mal, mais en fait, avec elles, je suis sortie de l’insouciance. J’ai rencontré des femmes à qui on avait diagnostiqué une maladie génétique à la naissance, qui ont fait des parcours de PMA avec tous les protocoles que ça implique. J’ai interviewé une femme de 30 ans qui est allée faire une GPA en Grèce en pleine chimio. C’est des leçons de vie, de force. Quand je suis en face d’elles, je bois leurs paroles. Ce sont mes Bliss-Girls, et on fait toutes parties d’une même armée.
Te considères-tu comme féministe ?
« A la base, je ne l’étais pas forcément. Mais disons que plus j’interviewe des femmes, plus je le deviens. Je suis à 110 épisodes, on peut dire que j’ai gagné 110 points de féminisme ! Je me bats pour que toutes les femmes aient accès à l’information, qu’elles aient la liberté d’avoir le choix en connaissances de causes. Il n’y a plus un seul schéma classique “gynéco-hôpital”. Il y a tous ces gens qui rayonnent autour : doulas, sages-femmes… L’intérêt des projets de naissance par exemple. Mon combat c’est d’informer pour que chaque femme connaisse ses options ».
Quel est ton rêve avec Bliss Stories aujourd’hui ?
« J’aimerais réussir à faire en sorte que Bliss soit un accompagnement dans tous les moments de la maternité, de l’envie d’avoir un enfant à la grossesse en passant par le post-partum. Pour que ma mission soit pleinement accomplie j’aimerais vraiment fournir un maximum d’outils à ma communauté. Je veux leur offrir de la sécurité, de la légitimité, un endroit où elles peuvent aller les yeux fermés en sachant qu’elles vont trouver les réponses à leurs questions. Un accompagnement complet, dans la bienveillance. »