Popote a eu la chance de rencontrer la réalisatrice du film-documentaire « A la Vie » sorti au cinéma le 20 octobre. Ce premier long-métrage suit la sage-femme Chantal Birman dans son quotidien et montre à la fois toute la force et les limites d’un métier de passionné et lève le tabou autour du post-partum, en le montrant simplement tel qu’il est. Forcément, le film résonne, pour toute une génération de jeunes mamans mais également pour toutes les femmes qui ont dû taire ces moments bouleversants. Un film magnifique, poignant et nécessaire. Rencontre avec celle qui l’a imaginé, Aude Pépin nous confie ses propres souvenirs de maman et ses réflexions engagées.
Avant de parler de ton film « A La Vie », on adorerait connaître ton propre parcours de maman. Peux-tu nous dire l’âge et le prénom de tes deux filles ?
« Ma plus grande s’appelle Lou, elle a 14 ans et demi et ma dernière, Marnie, a 6 ans. »
Et toi, enfant, tu étais quel genre de petite fille, qu’est-ce que tu voulais faire comme métier ?
« Physiquement, j’étais très petite, avec la voix cassée. Marnie à la même voix que moi petite d’ailleurs. En termes de caractère, j’étais volontaire, déterminée. Lorsque j’avais une idée en tête, il était difficile de me l’enlever. Je rêvais de devenir journaliste et actrice. J’étais une enfant plutôt précoce, j’adorais être avec les adultes, j’avais un peu l’impression qu’on prenait les enfants pour des abrutis, je n’aimais pas qu’on me touche la tête par exemple. J’avais des rêves, et aujourd’hui je suis contente de les avoir accomplis, je pense que la petite fille que j’étais serais fière de moi quelque part. »
Venons-en à la maternité. Comment as-tu vécu ces deux grossesses, j’imagine que c’était bien différent ?
« Pour Lou, c’était une grossesse placée sous le signe de l’inquiétude et de la découverte. C’est pendant cette première grossesse, que j’ai réalisé que la grossesse était un événement “fragile”, dans le sens où la mort n’est jamais très loin de la vie qui est en train de se créer. Cette idée planait au-dessus de moi, autour de moi, c’était omniprésent. Il faut dire que j’ai été alitée à 3 mois, j’ai été hospitalisée plusieurs fois. Et pourtant on me culpabilisait en me disant : « Allez hop ! Au boulot ! Vous êtes enceinte, pas malade ! ». Je me sentais en dehors de ma vie, prisonnière de mon corps et “fliquée” par un autre corps : le corps médical. L’accompagnement humain était quasiment inexistant, tout était factuel et glacé. J’avais 26 ans, j’étais jeune et on me le faisait sentir. Ils étaient ceux qui “savaient”, moi je ne savais rien.
Je me rappelle aussi m’être dit qu’on ne m’avait pas du tout prévenue de ce que c’était d’être enceinte, les bouleversements hormonaux, la fatigue – extrême des 3 premiers mois ! A cette époque, je travaillais de nuit, et je courais les castings la journée, je n’avais pas le droit de dire que j’étais enceinte, car bien sûr il “fallait que je reste désirable” et ne pas faire peur aux “assurances “ pour les tournages …. Et puis il y a eu le moment où j’ai senti ce bébé bouger, et j’ai trouvé très étrange de vivre avec cette autre vie à l’intérieur de soi… J’avais l’impression qu’il y avait une sorte d’alien en moi, mais j’adore les histoires d’ovnis, donc ça me fascinait autant que ça me faisait peur.
Mon histoire personnelle avec ma mère est revenue comme un boomerang, on a beaucoup parlé et j’avais besoin de “régler mes comptes “ ce qui n’était évidemment pas le moment pour le faire. Puis il y a eu ce premier accouchement magnifique, mais les choses ont mal tourné dans les minutes et les jours qui ont suivi. Lou n’arrivait pas à respirer, elle a failli mourir. Du coup, pour ma 2e grossesse, au tout début, je n’étais pas sereine. J’avais envie de me suicider, j’avais peur de la mort en fait. Je n’avais pas du tout soigné le traumatisme de ce premier l’accouchement. Et puis, c’est passé vers le quatrième mois et ma deuxième grossesse s’est finalement merveilleusement bien déroulée.
Pour Marnie, j’étais plus mature aussi, mieux installée, plus stable. Je connaissais les sensations, je savais à quoi m’attendre. Et surtout, je savais quelque part au fond de moi que ce serait très certainement mon dernier enfant… De la nostalgie se mêlait à la joie de savourer chacun de ces nouveaux et derniers moments. D’ailleurs, je ne m’étais pas trompée, peu de temps après, j’ai fait une ménopause précoce. Sujet dont on ne parle pas du tout non plus. »
Et tes accouchements ?
« Autant pour Lou, j’ai décrit pas mal d’angoisses mais il y a eu aussi énormément de bons moments, c’était la découverte et des sentiments très contradictoires et nouveaux, mais l’accouchement en lui-même s’est bien passé, j’avais d’ailleurs fait une grande partie du travail à la maison, j’avais confiance en moi quelque part. Jusqu’à ce qu’elle devienne bleue et qu’ils l’emmènent… Mais Lou s’est battu, nous aussi, épaulés par un personnel soignant exceptionnel. Pour Marnie, j’ai été déclenchée car je ne la sentais plus bouger, j’avais le ventre froid, bref j’ai eu peur (encore).
L’accouchement a été plus compliqué, j’étais mal accompagnée, et surtout très déçue de la structure où j’ai accouché (que l’on me vendait pourtant comme une des plus physiologiques de Paris) et j’ai été surprise de constater que 8 ans plus tard, il y avait encore moins de personnel que pour mon premier accouchement et que rien n’avait été pensé ni fait pour les co-parents. Finalement ; les choses avaient régressé. »
Forcément, dans « A La Vie » il est beaucoup question d’allaitement. As-tu allaité Lou et/ou Marnie ?
« J’ai allaité mes deux filles oui. Pour Lou, j’ai dû arrêter juste avant ses 3 mois à cause d’un problème de santé. Quand j’ai commencé à l’allaiter, elle avait des fils partout, j’avais l’impression qu’elle me rejetait, j’ai beaucoup pleuré, elle aussi, je me sentais seule, maladroite, minuscule.
Avec Marnie, ça a été beaucoup plus évident, mais les débuts n’ont pas toujours été simples non plus … Il m’a bien fallu 2-3 semaines pour que ça commence à être vraiment agréable, que les crevasses se soignent, car au départ c’est douloureux et harassant …Marnie, je ne l’ai allaité que 2 mois, je voulais retrouver ma vie et comme je n’aimais pas tirer mon lait, j’ai stoppé et on est passé au biberon. J’étais contente de retrouver ma liberté et surtout contente que mon amoureux puisse lui aussi lui donner à manger. Il était important pour moi de lui laisser une vraie place, dès le départ. Un enfant se conçoit à deux, il est normal qu’on s’en occupe à deux. Même si lui n’aura finalement jamais pris son congés paternité …. No comment. Par contre il s’en occupe et s’en occupait déjà beaucoup la nuit et dès qu’il rentrait, c’était un vrai relais. »
La maternité entre l’image que tu en avais et la réalité, c’est comment ?
« Hahah évidemment très loin de l’image de bonheur qu’on m’avait présentée ! C’est pour ça que j’ai fait un film dans lequel je montre que ce moment est complexe. Bien sûr que c’est un “shoot” d’amour et de plénitude immense mais c’est aussi tellement difficile. On nage en pleine “ confusion des sentiments”. Comme le dit Illana Weizmann avec laquelle je partage un grand nombre d’analyses : La maternité c’est le sublime et l’aliénation à la fois, pas l’un après l’autre, mais les deux superposés.
Ce qu’on oublie souvent c’est que c’est une double naissance. La femme aussi renait. On oublie les mères, on les met de côté. Et les femmes ont tellement l’habitude de se taire et de ne pas se plaindre … J’ai réalisé « A La Vie » pour deux choses principalement : graver quelque part la pensée de Chantal Birman, qui a mené de grands combats en catimini toute sa vie. Et lever le tabou qui entourait le post-partum jusqu’ici. Mon souhait serait qu’une nouvelle génération se décomplexe sur cette ambivalence des sentiments et que les femmes soient enfin accompagnées à la hauteur de ce qu’elles apportent à la société. »
On parle de post-partum justement, comment as-tu vécu le(s) tien(s) ?
« Pour ma première fille, ça a été quasi traumatique en un sens : elle ne dormait pas, mangeait très peu, pleurait énormément et ça a duré très très longtemps. C’était probablement lié au choc de la naissance, Lou revenait de loin… Mais, j’étais si contente qu’elle ait survécu, j’étais tellement portée par sa force de vie, que je n’ai pas pu m’effondrer. Pourtant j’étais très souvent seule, mon compagnon de l’époque, le père de Lou était DJ, il était en tournée en permanence , ma mère n’était pas là.
Ce n’est pas pour rien que j’ai mis 8 ans et demi à refaire un enfant ! Pour Marnie, mon post-partum s’est passé différemment. J’ai été accompagnée par une sage-femme (Anna Roy) au retour de la maternité, j’ai découvert ce service qui m’aurait été si utile pour Lou. Et puis j’étais déjà passée par là, j’étais plus âgée ( 34 ans), Marnie avait eu une naissance plus sereine , c’était un bébé qui dégageait une immense tranquillité, j’étais dans de meilleures conditions aussi, avec un autre homme, tout a été plus simple même si je n’aime pas dire ça car ne veut pas que mon aînée puisse penser qu’elle a été la “personne compliquée” ».
As-tu montré le film à tes filles… ?
« Lou l’a vu 4 fois oui. Ça lui a beaucoup parlé. C’est une génération engagée, beaucoup plus politique que nous à leur âge ! Ses copines et elle ont grandi dans une ère post #Metoo avec l’idée que ce n’est plus possible de supporter toutes ces souffrances. Je pense que c’est pour ça que ce film a résonné en elle. J’ai l’impression qu’avant on subissait d’avantage la violence des hommes dans la sphère privée et publique sans avoir vraiment le droit de le dire au risque de se faire traiter d’hystérique, voire de menteuse. Je me suis beaucoup engueulée avec des copines quand j’étais plus jeune qui me disaient d’arrêter de me plaindre ou de gueuler sur les mecs qui me traitaient de salope ou qui me sifflaient dans la rue, quand ils ne me suivaient pas ou ne se masturbait pas dans le métro devant moi. Pour certaines d’entre elles c’était la preuve que j’étais jolie ou désirable et je devais m’en réjouir, ça parait dingue mais ce sont des choses que j’ai vraiment entendues et de nombreuses fois. Ça me révoltait. Aujourd’hui, même si ces comportements existent toujours malheureusement, je pense que le changement est véritablement amorcé. C’est une génération dont je me sens plus proche que de la mienne en ce sens, car elle ne se laisse plus faire, elle est aussi plus informée, définitivement plus engagée. »
Et à ta maman ?
« Ma maman m’a écrit un très beau texte, une sublime déclaration. Ce film a permis d’ouvrir des discussions dans notre famille. C’est une lignée de femmes où les pères ont été très absents, souvent violents donc elles ont joué tous les rôles. Ma grand-mère a eu ma mère à 16 ans et demi, ma mère m’a eu a 21 ans et moi j’ai eu ma première fille à 26 ans.
Ce film nous a permis de nous pardonner certaines choses, de les responsabiliser aussi. Ça leur a permis de se rendre compte qu’elles n’avaient peut-être pas placé les curseurs générationnels toujours au bon endroit. Si ce film montre la fragilité, il montre aussi la puissance confisquée des femmes comme je le dis souvent. Il y a eu un écho en elles. Ce film est comme mon troisième et dernier enfant. Cette fois ma mère voulait être pleinement présente. »
Le film « A La Vie » a remporté le Grand prix du festival de Bordeaux, tu vas continuer les tournées jusqu’en décembre dans toute la France, on souhaite une longue vie à ce film bouleversant. As-tu déjà d’autres projets prévus ?
« J’ai réalisé ce film rapidement car Chantal partait à la retraite, il y avait une urgence, j’ai donc réalisé un long-métrage avant un court ce qui est plutôt original dans la profession ! Mais oui, j’ai écrit un court-métrage de fiction sur un sujet périphérique qui touche également aux enfants et au tabou. Et j’ai aussi démarré un projet documentaire sur ma famille et plus particulièrement autour de Lou et de mon père qui tient un bar dans le 18e arrondissement de Paris et qui fait de la boxe, qui est en pleine rédemption. J’ai également un autre projet mais complètement différent : avec mon mari nous avons acheté un ancien ranch dans les Alpes d’Azur, c’est ma petite Amérique comme je l’appelle. Dans ce lieu magique j’aimerais notamment accueillir des mères et leurs bébés qui rencontrent des difficultés en post partum, un lieu d’échange et de soin entre femmes, un projet dans lequel Chantal m’accompagnerait. »
On sera là pour en parler lorsque cela se concrétisera ! Merci Aude Pépin pour ce film, tes mots et ta bienveillance.
« A La Vie » est en salle depuis le 20 octobre 2021