AVEUX DE PARENTS

Ambre et le regret maternel

Dans une époque où « tous » les tabous sont levés, en apparence, après avoir levé celui de la dépression post partum, parlons de celui du regret maternel. Il n’est pas isolé. Ohhh que non. Le regret maternel, bien sûr, est propre à chacune mais on parle souvent non pas d’un regret de l’enfant aimé et choyé mais du rôle, de l’idée qu’on s’en faisait, qu’on nous a vendu et souvent à travers des clichés pendant des années. Voilà, l’enfant est là : la réalité n’est PAS comme vous l’avez imaginée. Le regret maternel c’est quoi ? C’est réaliser que si c’était à refaire, avec toutes les informations qu’on a aujourd’hui, on ne le ferait pas. On choisirait de ne pas avoir d’enfant. Rencontre avec l’une des premières à en parler sur Instagram. Un appel transatlantique qui fait du bien.

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Parlons un peu de vous

 

Pouvez-vous vous présenter ? D’où venez-vous, âge, quel est votre parcours, votre métier…

Je m’appelle Ambre, j’ai 36 ans, je suis originaire du Nord-Ouest de la France et j’habite au Québec depuis pas loin de 15 ans. J’ai fait des études de Lettres et aujourd’hui je suis en recherche d’emploi, avant la pandémie je travaillais dans le domaine des Arts, en tant qu’assistante administrative.

Quels comptes instagram sur la maternité suivez-vous ? 

J’en suis beaucoup ! Notamment celui d’Illana Weizman (@illanaweizman), de Madeleine (@postpartum_tamere), Chloé (@mal_de_meres), Anaïs (@anaisxgigi), Déborah (@maman_mais_pourquoi), Jessika Brazeau (@cavamaman), mais aussi Ophélie Bourgeois et Fiona Schmidt, qui ont partagé un témoignage que je leur avais envoyé, grâce à elles mon compte a pu avoir de la visibilité.

Combien d’enfant avez-vous ?

J’ai un fils de 3 ans et demi.

Le livre qui vous accompagne en ce moment ?

Les enfants sont rois de Delphine de Vigan et Education positive : une question d’équilibre ? de Marie Chetrit (@prgr_le_blog)

La question du 2e enfant c’est non ?

Je crois sincèrement que le risque serait que je me foute en l’air, donc un grand non… ça serait trop dur à supporter. L’autre risque serait que je finisse par me séparer. Dans ces cas-là, à quoi bon en faire un deuxième ?!  Surtout en ce moment, je retrouve du temps pour moi, j’ai recommencé à courir, à faire de l’escalade, j’écris beaucoup avec mon compte… Je suis dans une bonne lancée, j’ai envie de continuer de vivre ma vie de femme.

Petite, vous étiez comment ?

Un peu comme mon fils. Il se frustre assez facilement et c’est très confrontant. Petite, on ne m’a pas appris à vivre mes émotions mais avec le temps j’ai mis des mots dessus, j’ai su que j’étais hypersensible. Il n’y a rien pour le prouver, mais je me suis reconnue dans les livres que j’ai lu sur le sujet.

Je pense que c’est quelque chose qui se transmet. Mon fils peut se mettre en colère pour pas grand-chose, ils me le disent même à la crèche. Alors j’ai envie de lui donner des outils, qu’on ne m’a pas donné quand j’étais petite. À la fois, c’est terrible, mais il y a une sorte de confrontation intérieure, une petite voix qui me dit que je n’ai pas envie de l’aider vu qu’on ne l’a pas fait pour moi. Mais je vois que j’avance, que j’arrive à rester calme, à le prendre dans mes bras quand il fait une crise. J’accueille sa colère comme je peux.

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La maternité

Vous avez allaité, si oui, comment ça s’est passé ?

C’était super dur. J’ai fait un deuil de l’allaitement par rapport à ce que j’en attendais clairement. Mais j’ai eu l’impression, pendant 5 mois, d’avoir des bâtons dans les roues sur ce sujet ! Je n’arrivais pas à allaiter en position assise, je vous laisse imaginer le handicap. Au Québec, on a droit à 1 an de congé maternité donc c’est plus motivant de se lancer dans l’allaitement. Pour l’anecdote, au Québec, il n’y a pas de taxe sur les articles d’allaitement comme les vêtements, tire-lait etc. Il n’y en a pas non plus sur les biberons. Beaucoup d’amies ont allaité pendant 1 an et même après la reprise du travail.

Comment es-tu tombée sur ce terme « regret maternel » ?

Avec le livre d’Orna Donath « Le regret d’être mère » il me semble, et ça m’a frappée. Je l’ai vu en juillet 2019, mon fils avait un peu plus d’un an, ça a allumé une lumière à l’intérieur de moi. Je me suis dit que ça expliquerait peut-être certaines choses. À ce moment-là J’étais encore en dépression post-partum.

Quand on me l’a diagnostiquée, ça m’a rassurée, je me suis dit que j’étais pas folle. J’ai pris un traitement, et la psy que je vois est fantastique. Je la vois toujours, c’est mon fil rouge, mon rocher. Elle m’aide énormément.

Comment est née l’envie de créer le compte Instagram ?

J’en discutais avec Madeleine de Post Partum Ta mère depuis mon compte perso, elle m’a encouragée à le faire en me disant que pour elle ça avait été thérapeutique.  Il a été créé en août 2020, et quand je vois, 16 mois plus tard, l’impact positif que cela a eu, je n’en reviens presque pas !

Je ne regrette pas mon enfant, je l’aime d’amour, de tout mon cœur. Je regrette mon rôle de mère et ce que ça implique, dû à la société patriarcale dans laquelle on vit je pense. Pourtant au Québec, c’est bien mieux pensé qu’en France, le congé maternité dure 18 semaines et le congé du second parent dure 5 semaines. S’en suit un congé parental de 32 semaines qu’on peut partager (ou non !) comme on le souhaite avec le second parent. On peut aussi ne pas le prendre du tout, libre à chacun. 90% de mes amies ont pris le congé au complet, tout comme moi.

Mon mari a pris ses 5 semaines et a rajouté 2 semaines de vacances. Je ne me suis pas sentie démunie au début. Après, j’appréhendais, je me disais en sortant : « S’il pleure, comment je fais ? » J’anticipais tout de façon négative, j’étais très anxieuse. On n’avait pas de soutien familial puisque nos familles sont en France. La mère de mon conjoint est venue un peu à la naissance puis avant le Covid. Mais pendant la pandémie et même maintenant c’est compliqué d’avoir une baby-sitter.

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Pourquoi tu l’as créé ?

Je trouve que la société ne nous montre que le beau. J’ai une seule de mes amies qui m’a dit au bout de quelques jours après l’accouchement « Mais pourquoi j’ai fait ça ? » mais c’est anecdotique. Tant que tu ne vis pas la maternité, tu ne sais pas ce que c’est. Tu ne sais pas à quel point ça remplit le cœur et à quel point ça peut l’anéantir.

J’ai grandi dans une famille catholique, bourgeoise dans laquelle le rôle d’une femme est d’enfanter, de trouver quelqu’un qui a une bonne situation. C’est récent que je m’assume en tant que femme indépendante. Ce que je regrette ? De ne pas m’être réellement posée la question. Ce sont des sacrifices et peut-être un qui n’est pas fait pour moi. Je me suis dit que j’étais bête en fait. Comment ai-je pu ne pas y penser avant ? J’aimais mon mari, on pensait vouloir un enfant tous les deux pour « concrétiser » notre amour mais finalement c’est tellement difficile !

Comment il le vit ton conjoint cette situation ?

Il dit que c’est dur mais on ne communique pas beaucoup. Il passe assez facilement à autre chose en apparence, il considère qu’il n’est pas concerné par ce sujet. En termes de charge mentale, il ne comprend pas la différence entre faire quelque chose et penser à le faire donc j’ai l’impression d’être chiante. Une fois, je lui ai proposé qu’on se pose et qu’on mette à plat la répartition des tâches, les visualiser. Pour lui, c’était déjà réparti comme il faut, donc il s’est braqué et ça m’a vraiment fait de la peine.

Je me suis sentie mal, presque insultée. Je n’étais pas encore diagnostiquée en dépression du post-partum mais j’étais pas bien. C’était un soir de janvier, je suis partie, il faisait -25 degrés, j’ai marché pendant 1 heure… Avec le temps, ça a évolué en mieux.
Je ne sais pas si j’ai lâché prise sur certaines choses. Je n’ai pas l’impression qu’on est une équipe mais juste des parents. Mais maintenant il pense à plus de choses au quotidien…

J’ai lu une phrase un jour : « Les hommes veulent des enfants mais ils ne veulent pas être pères. » Je pense que ça résume pas mal les choses pour beaucoup de mères qui m’écrivent.

Comment s’est passé l’évolution du compte ?
Les témoignages sont-ils arrivés d’eux-mêmes ?

On peut voir sur les stories permanentes les messages que je reçois, les remerciements etc. Au début les gens me disaient merci d’avoir créé ce compte, ça m’a enlevé une culpabilité, ça m’aide aussi à mettre un mot sur un ressenti… Parfois ce sont des femmes qui vivent une maternité épanouie aussi, ou des gens sans enfants mais qui se questionnent.
Pour ce qui est des témoignages, j’ai fait un appel à tous un mois après la création du compte, j’ai créé une adresse email exprès pour ça, parce qu’en message privé ça aurait été ingérable !

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